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Compte-rendu de la 3e édition dans le magazine Pyrénées (n.299, juillet-sept. 2024), par Françoise Besson
Du 6 au 9 juin 2024, s’est tenue la 3ème édition du festival pyrénéen « Écrire la nature », créé en 2022 par Cédric Baylocq Sassoubre avec l’appui de la mairie de Laruns et d’une petite équipe de bénévoles. Porté par l'association éponyme « Écrire la Nature. Festival Pyrénéen de littérature », ce festival était cette année centrée sur l’eau (« Eaux de nos gaves aux océans »), après deux éditions sur les grands espaces et notamment sur l’Ouest américain. John Muir reste la figure emblématique du festival.
-Les comptes rendus des premières éditions et toutes les informations se trouvent sur le site du festival : ecrirelanature.com/fr/actualites).
-D'après le CR dans la revue Pyrénées, numéro 299, Juillet-septembre 2024, par Françoise Besson (Pr. émérite au département d'études anglophones, Université Toulouse Jean Jaurès): revue-pyrenees.com/spip.php
NB: Les photos illustrant le présent article sont de l'équipe d'Ecrire la Nature (Copyright C.Baylocq, pour ELN).
En amont du festival, le jeudi 6 juin, une rencontre était organisée avec les élèves du Lycée Louis Barthou à Pau sur le thème « Corps, sport, écriture » avec deux auteurs : Stéphane Dugast, habitué du festival puisqu’il présentait déjà un livre en 2023 et un film sur les écrivains en Islande. Il présentait cette fois une bande dessinée sur Paul-Emile Victor (Paul-Emile Victor : La soif d’aventure. 1907-1935, Sekoya, 2024) ; et Pierre-Nicolas Marquès présentait Mémoire en roue libre (Cairn, 2024).
Encore plus en amont, cette année, une dessinatrice animait un atelier de dessin de la nature avec des matériaux naturels. C’est ensuite la médiathèque de Billère qui accueillait trois écrivains lors de la première journée, en fin d’après-midi le 6 juin. Adam Weymouth, qui avait obtenu en 2023, le Prix de l’essai pour son ouvrage Les Rois du Yukon: Trois mille kilomètres en canoë à travers l'Alaska (Albin Michel, 2021), était l’invité international de cette troisième édition et y présentait son aventure sur le Yukon et sa rencontre avec les populations d’Alaska ; il évoquait le problème de la diminution de la population de saumons.
Il s’instaurait un dialogue autour du thème de l’eau et de la pêche dans une session intitulée « Peuples d’eaux »), avec Zoé Lamazou qui parlait de son ouvrage Escales en Polynésie (Au vent des îles, 2021) ainsi que d’un livre sur l’Alaska, Une saison de chasse en Alaska (Paulsen, 2014) ; et Karine Sancéry évoquait son travail avec les peuples nomades des mers en Indonésie, les « Bajaus » : Anima Marin. Carnet de voyage en mer indonésienne. Village Pulau Papan. Nomades des mers (auto-édition). Et pour la partie graphique (puisque ce livre se lit dans les deux sens) : [Écho]graphie]. Carnet de voyage en mer indonésienne. Chez les Bajaus. Village Pulau Papan. Nomades des mers. Après l’introduction du président Cédric Baylocq-Sassoubre et la signature d’une convention avec l’Université de Pau-Pays de l’Adour et avant la présentation des trois écrivains, Olivier Poivre d’Arvor, écrivain et ambassadeur de France pour les Pôles et affaires maritimes, introduisait le festival en visioconférence sur le thème « Préserver l’eau, étudier l’eau, écrire l’eau ». Le dialogue et les présentations qui suivaient entre Adam Weymouth, Zoé Lamazou et Karine Sancéry nous invitait à un voyage de l’Alaska à la Polynésie et à l’Indonésie à travers le regard de ces voyageurs, explorateurs et écrivains, femmes et hommes dont l’amour de la nature et du monde s’accompagne d’une vision sur les peuples rencontrés qui nous ouvre à la conscience d’un partage de la planète plus durable.
Les présentations par les trois écrivain(e)s étaient suivies de la projection du remarquable film de Dominique Marchais, La rivière (Météores Films, 2023), qui faisait écho à la présentation d’Adam Weymouth qui avait évoqué la diminution drastique des saumons royaux en Alaska ; le film de D. Marchais mentionnait la diminution inquiétante des saumons atlantiques dans le gave d’Oloron. Encore une fois, était établi un lien entre Pyrénées et Amériques, cette fois pour mettre en garde sur la menace inquiétante pesant sur une espèce emblématique de nos rivières des deux côtés de l’Océan.
Le 7 juin, comme chaque année, la belle cave de Gan-Jurançon, réunissant une mosaïque romaine et des installations ultramodernes dans une lumière poétique, offrait aux auteurs une visite et une dégustation avant que la 3ème édition du festival ne soit officiellement inaugurée à Laruns dans le jardin de la médiathèque par le président et fondateur du festival Cédric Baylocq-Sassoubre et par le chanteur et musicien et membre du Conseil Municipal de la mairie de Laruns, Jean-Luc Mongaugé.
Les auteurs qui parlent d’ailleurs lointains pouvaient dialoguer avec les auteurs pyrénéens ; deux romancières racontaient, dans des romans aux styles différents, la même région pyrénéenne, le Couserans, à travers la vie pastorale et la présence de l’ours. Pastoralisme et vie sauvage se confrontaient à travers le roman de l’écrivaine et journaliste Maylis Adhémar La grande ourse (Stock, 2023), et celui de Clara Arnaud, écrivain voyageur et romancière, Et vous passerez comme des vents fous (Actes sud, 2023), qui allait obtenir le Prix Fiction « Écrire la nature » 2024.
Le thème de l’eau était abordé de diverses manières, notamment au cours d’une table ronde passionnante qui réunissait Claude Miqueu, parlant du Lac du Gabas dans le Bassin de l'Adour (France Libris, 2024) ; Régine Péhau-Gerbet qui racontait L'aventure hydroélectrique du gave d'Aspe (Monhélios, 2023) ; et Pierre Castillou qui nous amenait à la découverte des sources et des bains dans les vallées d’Aspe et d’Ossau et dans le Barrétous et la Soule (Sources et bains : Aspe, Ossau, Barrétous et Soule, Monhélios, 2023). Toujours autour du thème de l’eau, une lecture filmée (par l’un des généreux bénévoles locaux s’activant de toutes parts) de passages de l’ouvrage de Scott Slovic (présent lors de la première édition du Festival qu’il a contribué à lancer), Voyager pour penser (Prix SELVA 2024), était faite par sa traductrice dans les jardins de la médiathèque sous le titre « L’eau de l’engagement » ; il s’agissait d’extraits de l’ouvrage liés à l’eau comme engagement et comme sujet d’engagement pour ceux qui en sont privés ou dont l’eau est polluée par des compagnies multinationales par exemple.
Le 8 juin, on revenait à l’eau des navigateurs et des océans avec un dialogue dans le jardin du château de Béost s’ouvrant sur la vallée. Stéphane Dugast évoquait Tara. Histoire d'un engagement pour l'océan (avec S. Rouat, Paulsen, 2023), mais aussi la bande dessinée qui fait suite à son ouvrage sur Paul-Emile Victor, Paul-Emile Victor. Le souffle de l’aventure. (éditions du Sékoya, 2024). On restait dans le monde de l’océan et plus particulièrement des vagues avec le très poétique ouvrage de Jean-Luc Coudray, Musée des vagues (Zeraq, 2023). Son intervention poétique et philosophique nous emportait au cœur des vagues. Suivait un spectacle théâtral par la compagnie L'Oiseau tonnerre, compagnie pyrénéenne qui mêle littérature, théâtre, conte, danse et musique. Deux musiciens, un comédien et une danseuse représentaient l’eau à partir de textes célèbres. La rivière était suggérée par les mouvements de la danse autour de rubans blancs transmis par la danseuse au public qui faisait ainsi vivre la rivière avec l’artiste. Venue de la montagne, elle repartait dans la montagne. Magnifique spectacle intitulé L’indiscipline de l’eau, que le cadre des montagnes ossaloises rendait encore plus féérique.
Comme les années précédentes (et comme la première année à Bescat), l’église de Béost offrait un cadre rare pour une lecture par l’ensemble des auteurs et autrices, ponctuée par la musique et les chansons de Jean-Luc Mongaugé, dont les notes et la langue font chanter le Béarn. Magie de la musique et de la poésie.
Ces journées se sont terminées au cinéma Louis Jouvet de Laruns pour un entretien avec Clara Arnaud (mené par Jean-Michel Lanot) autour de son livre Et vous passerez comme des vents fous. Et la journée et le festival s’achevaient par la projection d’une synthèse des trois volets de la série documentaire d’Alwa Deluze et Laurent Nédélec Les Pyrénées secrètes (2023) en présence de Laurent Nédélec qui nous expliquait après le film sa manière d’approcher les animaux et de les filmer ou de les photographier. Moment rare où la nature entrait dans la salle de cinéma. avec tant de force qu’il n’y avait plus la salle et l’écran, mais juste la nature libre et les animaux que nous avions la chance d’approcher. En tout cas, on le rêvait...
Le dimanche 9, ceux qui le souhaitaient pouvaient aller faire une randonnée dans la montagne en dépit du temps pluvieux. Pour sa troisième édition, ce festival qui a peu de moyens mais quelques soutiens fidèles et une petite équipe de bénévoles motivée et efficace, parmi lesquels quelques bénévoles locaux très actifs (le grand poète et philologue Simin Palay doit être fier de son petit-fils là-haut dans les étoiles au-dessus de la montagne), et des étudiants et étudiantes de l’Université de Pau qui se multipliaient, a présenté des écrivains et des artistes inspirants. Un jeune festival doit parfois affronter des vents contraires et doit toujours faire ses preuves mais les montagnards savent faire face à tous les temps. Le festival a rassemblé un public de toutes générations et de toutes origines géographiques et professionnelles : les plus jeunes s’y investissent dans le courant de l’année à travers un concours de textes et de dessins qui toujours montre l’attachement de ces jeunes à la montagne et leur conscience de la nature. Participation des lycéens du Lycée Louis Barthou de Pau, du Lycée Agricole d’Oloron Sainte Marie (et sa section sur les métiers de la montagne). Et on peut noter que c’est le seul lycée des Pyrénées qui propose une option sportive « randonnée de moyenne montagne » ; et des étudiants de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.
Ce festival réunit aussi des écrivains locaux et des écrivains venus d’autres régions de France ; des Béarnais et quelques Anglais amoureux des Pyrénées et qui y viennent régulièrement ou y vivent. Les habitants de la vallée offrent un accueil toujours apprécié et la cuisine béarnaise laisse en chacun des souvenirs inoubliables. Et au-delà de la cuisine et des fromages de brebis (qui laissent un souvenir ému jusque de l’autre côté de l’océan), c’est l’esprit pyrénéen que l’on retrouve, l’esprit de la montagne : sa franchise et sa sagesse et son sens du partage. Entendre dans un même espace des auteurs pyrénéens qui font connaître les moindres recoins de cette terre qu’ils aiment et chacune de ses sources, de ses rivières et de ses lacs, et des aventuriers et aventurières qui ont parcouru les océans et racontent le monde comme Zoé Lamazou, Karine Sancéry, Alan Weymouth ou Stéphane Dugast. On entend les sources avec Pierre Castillou ; on suit l’aventure hydroélectrique avec Régine Péhau-Gerbet et on réfléchit au pastoralisme et à la vie de la faune sauvage en même temps avec Clara Arnaud et Maylis Adhémar. On rêve et on réfléchit au son à la fois de la musique de Jean-Luc Mongaugé qui chante la langue de ses montagnes, et de la musique des montagnes elles-mêmes, de leurs rivières et de leurs oiseaux (l’un d’eux attendait le spectacle de L’Oiseau Tonnerre et écoutait Stéphane Dugast et Jean-Luc Coudray du haut de son arbre !)
Cadeau de la montagne et de celles et ceux qui l’écrivent. Cette fois, autour de l’eau. Le Gave ne juge rien. Il coule dans sa vallée comme il l’a toujours fait depuis des millénaires. Ce festival ancré dans les Pyrénées évoque la vie des vallées mais aussi les voyages à pied, à vélo sur les routes et les chemins, en canoë, en voilier, sur les rivières ou sur les océans, faits par des écrivains, explorateurs ou simplement montagnards et marins qui, en observant le monde, écrivent la nature et nous montrent la vie des peuples autochtones, leurs luttes et leur vie quotidienne et où les gens de la vallée voient des connexions (comme entre les saumons royaux d’Alaska et les saumons atlantiques du Gave). Puisque s!ajoutent aux événements littéraires, des moments musicaux et des moments de théâtre, des films sur la montagne et ses habitants, sur les rivières et cette année, sur le saumon en voie d’extinction dans les gaves pyrénéens comme en Alaska. Encore une fois, se tissait le lien entre les Pyrénées et l’Amérique, cette fois à travers une espèce menacée. Saumons d’Atlantique (pour les Pyrénées) et saumons royaux (pour l’Alaska) se faisaient écho comme se faisait écho la recherche de solutions par les Inuit et par les Béarnais.
La présence de la littérature anglophone lors de ces premières éditions du festival a ses origines dans le genre créé aux États-Unis au XIXe siècle, le nature writing est au départ du festival, et le lien avec les États-Unis et la littérature de la nature américaine y est autant que possible toujours maintenu pour rappeler que ce genre littéraire est né de l’autre côté de l’Atlantique (même si les auteurs de tous les pays ont accordé de tous temps une place importante à la nature). Et le lien est réciproque.
Car combien de Pyrénéens, Béarnais et Basques, ont dans leur famille quelqu’un qui est parti pour devenir berger en Argentine ou dans les montagnes du Nevada (comme le Basque Dominique Laxalt, sur qui son fils Robert a écrit en 1957 l’émouvant livre Sweet Promised Land, traduit en 2013 par Xavier Guesnu et Bertrand Mouchez sous le titre Mon père était berger: Un Basque dans l'Ouest américain (Aubéron). C’est ce lien à travers la montagne et les textes que ce festival a voulu souligner lorsqu’il a été créé par un homme qui a ses racines dans cette vallée. Tous ses bénévoles, qu’ils vivent dans la vallée ou travaillent dans des villes éloignées, ont leurs origines dans les vallées pyrénéennes.
Ce festival n’est pas une entreprise de promotion pour les métiers du livre, mais le livre est au cœur de son existence ; pour que les auteurs puissent faire entendre leur voix, il faut que les éditeurs, les imprimeurs et les libraires soient là. Et comme chaque année, des prix ont été décernés : le prix Récit / Essai Écrire la Nature 2024 a été attribué à Blaise Hofman pour son ouvrage Faire paysan (Éditions Zoé, 2023). Et le prix Fiction Écrire la Nature 2024 a été attribué à Clara Arnaud pour Et vous passerez comme des vents fous (Actes Sud, 2023).
Le festival est là pour raconter le lien entre la montagne et un certain type d’écriture qui fait bouger les lignes, ce que les écoliers, collégiens, lycéens et étudiants de la vallée ont compris dès le début. Ce sont eux qui feront avancer les choses. Leurs textes, leurs dessins, leurs articles, ou simplement leurs travaux dans les établissements scolaires lorsqu’ils commentent un ouvrage, et leurs conversations avec leurs parents, sont un chemin d’espoir. Animé par la passion de ses créateurs et la poignée de bénévoles qui lui ont permis d’exister pendant déjà trois éditions, ce festival vit de l’énergie et de l’enthousiasme de ceux et celles qui lui ont donné vie et de celles et ceux qui leur ont fait confiance ; mais surtout, il vit de l’esprit de la montagne et de ses habitants. Il permet à toutes celles et tous ceux qui ont envie de voyager et de lire, d’écouter la nature et de la préserver, d’écouter des auteurs et des autrices parler de leurs livres dans le cadre naturel si beau de la vallée d’Ossau et dans ses beaux villages, de vivre des moments rares.
Pour terminer, je voudrais parler de rencontres inattendues : avec trois jolies chèvres surprises d’avoir de la visite et qui ont passé un petit moment avec cette inconnue qui les intriguait. Et une autre rencontre avec un rocher et deux exploratrices. En même temps. Grâce à ces deux exploratrices. Compagnes de voyages littéraires et montagnardes pendant le tempos d’un festival. Il y a dans la montagne à Béost une maison d’architecte qui s’appelle « Le Rocher ». La maison a été construite autour d’un énorme rocher qui se trouve au cœur d’une pièce. La montagne à la maison. Voir soudain cet étrange mariage entre la montagne et l’architecture grâce à deux exploratrices qui me l’ont fait découvrir, le découvrir avec elles, est un cadeau du festival, un cadeau de la montagne. Conversation avec la montagne... Le festival « Écrire la nature » est comme ce rocher : il faut entrer dans son espace pour l’entendre.
Françoise Besson