Écrire la nature

Il s’agit véritablement d’une Odyssée et le talent de conteur de l’auteur, sa connaissance profonde de l’histoire du bouquetin ont fait de cette rencontre un moment rare, où le public, suspendu à ses mots, serait bien resté une heure de plus tant les questions étaient nombreuses et le plaisir d’écouter l’auteur était intense.

Jean-Paul Crampe, garde au Parc national des Pyrénées aujourd'hui retraité, a œuvré toute sa carrière durant pour la réintroduction du bouquetin dans les Pyrénées, dont il est aujourd'hui le meilleur connaisseur. Il est considéré comme « l’artisan du retour des bouquetins » dans les Pyrénées. Dans un entretien donné dans la revue Espaces naturels, il dit :
« L'homme a acquis des moyens de destruction tellement puissants, dont il peut mesurer les effets, qu'il est désormais responsable des espèces qui l’accompagnent sur la planète. » De proies, que nous étions à nos origines lointaines, nous sommes devenus des prédateurs de plus en plus efficaces. Aujourd'hui nous devons, pour subsister nous-mêmes, entrer dans une relation de symbiose avec les autres êtres vivants. « Et pour ça, on doit rendre des comptes, et ne pas tricher. Dans cette nouvelle aventure extraordinaire, les parcs nationaux ont leur rôle de laboratoire naturel à jouer. Ils ont aussi une énorme mission pédagogique à remplir ».

Jean-Paul Crampe nous parle de la genèse du livre et raconte les débuts de la réintroduction du bouquetin ; son parcours du combattant ; ses rencontres avec les autorités espagnoles ; véritable combat pour que cet animal mythique puisse retrouver ses Pyrénées. Il nous parle aussi de sa disparition au dix-neuvième siècle avec la chasse notamment par certains Britanniques comme Sir Victor Brooke ; il raconte toute son histoire depuis la Préhistoire jusqu’à « l’agonie du bouquetin des Pyrénées » (49) ; il raconte la belle rencontre faite par Henry Russell et Célestin Passet de deux bouquetins : « Serait-ce un père qui promène son enfant ? » écrit Russell dans les Souvenirs d’un montagnard, cités par Jean-Paul Crampe (50), rencontre qui lui fera baptiser ce col au-dessus de la vallée de Malibierne, « col des Bouquetins » ; et puis il nous raconte toute la magnifique aventure de sa réintroduction.

Dans l’entretien donné à Espaces naturels, Jean-Paul Crampe dit : « Je crois beaucoup à la créativité personnelle et à la force de l'exemple » (Ibid.). En l’écoutant, on peut réfléchir et se demander comment chacun de nous, chaque habitant, chaque randonneur, chacun de ceux et chacune de celles qui parcourent la montagne peuvent développer une forme de créativité. Et l’exemple que constitue l’aventure extraordinaire de la réintroduction des bouquetins peut inspirer chacun et chacune dans d’autres domaines de la relation à la nature.

Le beau livre que nous présentait ce jour-là Jean-Paul Crampe, et qui retrace à la fois une passion personnelle et un fait environnemental capital est un exemple de la manière dont, après l’action elle-même, l’écrit peut devenir action en faisant prendre conscience et en faisant donc avancer les choses. Prise de conscience dans la connaissance des animaux de montagne (et précisément des bouquetins), des écosystèmes et de la relation des « utilisateurs » de la montagne au monde sauvage.

Ce livre (magnifiquement édité par Monhélios) est plus qu’un beau livre. Il révèle la connexion étroite d’un homme avec la montagne et les bouquetins qu’il connaît si bien. L’idée de présenter les bouquetins individuellement, avec leur nom et leur photo (322-325), sur un magnifique fond de montagne, est belle et émouvante. Ces pages créent un lien fort avec les bouquetins. On suit les aventures de Jaim et de Sacha, de Chiva et de Tresia et de tous les autres grâce aux sublimes photos et au texte si précis de Jean-Paul Crampe qui, comme au château de Béost en ce jour de juin 2023, nous amène avec lui à la rencontre des bouquetins dont il nous fait faire la connaissance avec tant de vie. Cette impression de connaître personnellement les bouquetins est belle, mais en plus, elle peut conduire les lecteurs à mieux comprendre cette espèce et sa place dans la montagne et aussi sa relation au monde vivant de façon générale.
Mieux voir, mieux ressentir ; ce livre, bien que différent, rejoint ce que disent dans leurs livres Jean Cazaban, Jean Eimer ainsi que Marie Bruneau et Bernard Genier, eux aussi présents sur le festival en ce mois de juin 2023.

Et puis, pour ce festival sur lequel semble veiller la silhouette et le regard de John Muir, ouvrir presque le livre de Jean-Paul Crampe, après les regards de bouquetins, sur une photo de Muir, l’un des inventeurs du nature writing, en conversation avec le Président Théodore Roosevelt sur les hauteurs de Yosemite (11), parle encore de connexions entre les Pyrénées et l’Amérique.

Jean-Paul Crampe, Le Bouquetin aux Pyrénées. Odyssée d’une espèce retrouvée, Monhélios, 2020.

Compte rendu rédigé par Françoise Besson