John Muir, stupéfait de la beauté de la vallée ossaloise
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L’imagination et le voyage pour découvrir la nature sauvage de l’Islande, sur les pas des écrivains par Stéphane Dugast

Après l’Alaska dans le regard de Jamey Bradbury et Marie-Hélène Fraïssé, Stéphane Dugast nous a conduit encore dans des grands espaces, en Islande cette fois, « sur les pas des écrivains ».

Dans un documentaire qui était en même temps un récit de voyage, il nous a fait découvrir ou redécouvrir les éblouissants paysages de l’Islande et la manière dont il avait découvert lui-même l’Islande à travers les livres d’abord.

Jules Verne et son Voyage au centre de la terre est sans doute le livre qui réunit le plus d’entre nous en Islande, une Islande porteuse d’imaginaire et révélant une nature sauvage et belle. Combien somme-nous à être partis à l’aventure derrière Axel et son oncle en débutant notre voyage au centre de la terre par une porte sauvage, celle d’un volcan d’Islande, le Sneffels (nom raccourci du Snæfellsjökull, qui signifie "le glacier de la montagne de neige"). C’est un roman, une fiction qui donne tant de place à l’imaginaire, qui nous fait d’abord découvrir l’Islande comme Stéphane Dugast l’a d’abord découverte. D’où son idée de nous la montrer « sur les pas des écrivains » : Jules Verne, mais aussi Pierre Loti et les Pêcheurs d’Islande, tous les auteurs de sagas islandaises (la langue islandaise nous a donné le nom de ce genre qu’est la saga) tous ces auteurs anciens qu’un passionné, Arni Magnusson, « le chasseur de manuscrits islandais » (https://histoireodyssee.com/arni-magnusson-le-chasseur-de-manuscrits-islandais/), voyageur et savant islandais des XVIIe et XVIIIe siècles, nous a permis de connaître, comme nous l’explique Stéphane Dugast.

L’auteur nous montre l’Islande telle qu’il la redécouvre, réellement, tout en y retrouvant les traces des explorateurs et surtout de Jean-Baptiste Charcot, dont il nous raconte la dernière expédition. Elle devait être la dernière parce qu’il avait prévu de s’arrêter ensuite. Elle sera la dernière parce que son équipage et lui n’en reviendront pas, sauf un homme, Eugène Gonidec, rescapé, vivant. Mais était-il vivant au fond de lui quand il avait vu les corps de tous ses camarades alignés ? Terrible photographie. Dans le regard du marin rescapé, il y a le néant, le vide, et une question : pourquoi leur a-t-il survécu ? L’inclusion de dessins animés du bateau pris dans la tempête, des créatures surnaturelles, comme les trolls, censés incarner les forces naturelles, introduisent un étrange décalage avec la photo de la terrible réalité. L’admiration du réalisateur pour Jean-Baptiste Charcot, humaniste aimé de tous et que les voyages scientifiques ont conduit dans l’Arctique et l’Antarctique, est perceptible tant dans les commentaires que dans les images. Charcot revenait là du Groenland où il avait livré du matériel scientifique à la mission de Paul-Emile Victor (dont Stéphane Dugast a écrit une biographie en collaboration avec Daphné Victor, Paul-Emile Victor. Le rêve et l’action, éditions Paulsen, 2020). Le Pourquoi-Pas IV fait escale à Reykjavik pour réparer la chaudière. C’est au large de la capitale islandaise, le lendemain de leur départ, que les marins sont pris dans une tempête cyclonique et le navire s’écrasera sur des récifs le 16 septembre 1936. Terrible histoire que Stéphane Dugast raconte longuement. Il aime les explorateurs. Quelques jours plus tard, à Pont-de-Camps, il présentera son livre Une histoire de l’exploration. Des neiges et des glaces (Glénat, 2022). Il y a dans sa manière de parler de ces lieux et de ces hommes qui l’ont fait rêver et qui le font toujours rêver, quelque chose d’un rêve d’enfant qui s’accomplit chaque jour par l’écriture, livresque ou filmique.

L’Islande, ce sont aussi ses geysers (c’est elle qui a donné le mot à la langue française, puisque le geyser contient le lieu qui a fait naître le mot, la champ géothermique de Geysir). En voyant jaillir ces geysers (le mot vient d’un verbe islandais qui signifie « jaillir »), je me retrouve plus de vingt ans en arrière quand j’ai moi aussi découvert l’Islande ; et quand Stéphane Dugast, en nous faisant commencer le voyage avec lui, nous parle de son émerveillement devant son pays, je retrouve cet émerveillement d’il y a vingt ans. émerveillement devant les paysages et aussi devant le côté pionnier de ce peuple.

Thingvellir : dans ce champ de lave spectaculaire, s’est tenu en 930 le premier parlement du monde. Il est semblable et différent de celui que j’ai vu en 1999, la lumière était différente et l’eau paraissait sombre. Sur les images de Stéphane Dugast, les eaux qui traversent la plaine sont bleues. Je me souviens de ce que j’ai ressenti en marchant sur cette terre de lave où plus de mille ans plus tôt, des hommes s’étaient réunis en créant un parlement. Je me souviens de cette émotion ressentie à marcher sur l’histoire du monde. C’est ce qu’on fait partout et en tous lieux. Mais il y a des lieux qui racontent plus d’Histoire, peut-être, en tout cas, plus d’Histoire connue, parce que chaque centimètre de terre porte l’Histoire du monde. Nous étions là avec un groupe de chercheurs venus du monde entier et qui étudiaient tous les cultures et littératures canadiennes. Ce jour-là, avec nous, il y avait Carol Shields, cette écrivaine magnifique qui a écrit entre autres, The Stone Diaries (La Mémoire des pierres). Elle avait parlé à Reykjavik, avec autant de lumière qu’il y en avait en Islande à cette période de l’année, en août, de son écriture, de l’écriture. Imaginez ce qu’on peut ressentir quand une écrivaine qui a créé dans les mots La mémoire des pierres, se trouve à vos côtés, foulant cette mémoire des pierres, sur un lieu qui se souvient.

Stéphane Dugast nous présente toutes ces cascades qui tombent sur les pentes herbeuses le long de la route, les glaciers, les orgues basaltiques. Je me rappelle avoir vu sur le bord de la route nous conduisant de l’aéroport à Reykjavik, des alignements de linaigrette, ces fleurs blanches semblables à du coton, que l’on trouve aussi dans les Pyrénées. D’ailleurs il y a de nombreuses fleurs que j’ai vues là-bas et que je voyais dans les Pyrénées. Mémoire végétale du monde. Au détour d’une image, on voit quelques moutons. A l’époque on nous avait dit que depuis le XIe siècle, les Islandais avaient refusé tout croisement pour les moutons et les chevaux et donc c’était la même espèce de mouton qu’au Moyen-Age, qui paissait dans les prairies d’Islande. Est-ce toujours le cas ? Il y a un mouton que je n’ai pas reconnu ! Je veux dire qu’il m’a semblé différent de tous ces moutons apparemment identiques, à la longue toison claire, que j’avais vus à l’époque. Celui-là était bicolore, noir et beige.

Gullfoss, cascade étonnante et spectaculaire, très large. Elle donne aux humains que nous sommes une telle impression de leur petitesse. En la voyant dans le film de Stéphane Dugast, je me dis que là encore les Islandais ont été à la pointe des combats écologiques.
Au début du XXe siècle, il avait été envisagé de construire un barrage sur la rivière Hvitá pour produire de l’électricité. Les chutes auraient alors disparu dans le réservoir. Une femme, Sigridur Tómasdóttir, la fille du propriétaires du terrain sur lequel se trouvent les chutes, va se battre de toutes ses forces pour sauver les chutes. Seule d’abord, elle se rend régulièrement à Reykjavik (à 120 km de là) à pied, pour essayer de sauver les chutes et donner ses arguments à l’Althing, le Parlement. Elle menace même de se jeter du haut des chutes si on n’abandonne pas ce projet. Soutenue par un député, Sveinn Bjôornsson, qui deviendra le premier président de la république islandaise, elle rallie finalement à sa cause l’ensemble des Islandais et le projet est abandonné. La cascade de Gullfoss devient un bien national. Au-dessus des chutes, au bord des gorges, un monument et une plaque, très discrète, ont été érigés en 1978 pour rendre hommage à cette jeune femme, l’une des premières écologistes du monde, qui s’est tant battue pour sauver une cascade, et pour que le seul or qui la colore, ne soit pas celui des investisseurs de la compagnie d’électricité, mais celui de son nom (qui signifie « les chutes d’or ») et du soleil qui brille dans ses embruns et que les images de Stéphane Dugast révèlent. Cette cascade éveille en moi ce combat pionnier et celui d’une autre femme, de fiction cette fois, dans un film islandais de Benedikt Erlingsson, Woman at War (2018), où une femme, encore, va se battre contre l’industrie locale de l’aluminium pour que son pays, les Hautes Terres d’Islande, ne soit pas défiguré. Elle aussi, elle marche, elle court dans les landes islandaises, comme les guerriers Masai de Out of Africa, comme le dernier des Mohicans, comme si courir était le signe de tous les combats de la dernière chance pour sauver une terre ou un peuple.

En regardant le beau documentaire de Stéphane Dugast, nous n'étions plus dans une salle fermée et obscure à Pau ; j’étais en Islande, d’abord derrière Axel et son oncle dans leur voyage au centre de la terre, dans les pas de Jules Verne, ensuite, je remontais dans le temps en imaginant les textes des sagas, je tremblais devant la mer déchaînée qui allait stopper, dans la fureur de la tempête, la vie de quarante marins. Mais je retrouvais aussi la lumière d’Islande, dans les grands espaces de cette terre de volcans, je devinais les macareux sur une île rocher, je retrouvais un petit cheval blanc sur une île herbeuse, avec lequel j’avais longtemps parlé, je me retrouvais dans la plaine de Thingvellir au dixième siècle, j’entendais la voix puissante d’une femme qui avait sauvé l’une des plus belles cascades du monde que l’on cherchait à détruire pour en faire de l’énergie pour les humains sans voir sa véritable énergie. Elle a réussi, seule contre tous d’abord, en ralliant tout le pays ensuite, à laisser à la terre d’Islande l’énergie naturelle de cette eau vivante.

Le documentaire de Stéphane Dugast, ce sont toutes les magnifiques images que l’on voit, ce sont les souvenirs littéraires qui resurgissent, et c’est aussi tout ce que l’on ne voit pas ou plutôt que l’on voit en filigranes derrière cet univers de volcans et de lumière, cette terre d’énergie et de liberté.

Compte rendu rédigé par Françoise Besson