John Muir, stupéfait de la beauté de la vallée ossaloise
04
/
06
/
23

La musique des langues : paysages, toponymes et chansons avec Romain Bourbon, Jean Eimer et Jean-Luc Mongaugé

Le 4 juin. 2023, Romain Bourbon présentait son Petit dictionnaire toponymique des Pyrénées (Monhélios, 2022, nouvelle édition) ; Les noms des lieux se retrouvent ou se dévoilent dans un dialogue passionnant. Romain Bourbon nous rappelle ainsi comment les paysages se racontent dans les toponymes, parfois en créant quelques mystères ou jeux linguistiques, comme cette vallée d’Ossau dans laquelle nous nous trouvons, Vallée des ours ou vallée des eaux ? Les deux étymologies sont évoquées et c’est la racine hydronymique pyrénéenne qui est choisie comme la plus probable. Comme le dit Romain Bourbon, beaucoup de cours d’eau pyrénéen sont en ours et ous. » (Bourbon, 108). L’Ossau qui a vu tant d’ours sur ses pentes et de ruisseaux qui chantent dans sa vallée peut-être aime bien raconter par son nom qu’il est à la fois le pays des ours et le pays de l’eau sans forcément choisir. On découvre des paysages dans les noms des lieux où nous écoutons des écrivains raconter la nature.

Romain Bourbon nous raconte les lieux où nous évoluons pendant le festival. Laruns, Laruntz, est un mot basque qui signifie une "lande de montagne". Le nom d’Arudy parle d’une « rue entourée de pierre » et l’auteur rappelle dans son dictionnaire que « Arudy est connu pour ses carrières de marbre » (24). Quant à la ville de Pau, elle aussi parle de roche puisque le mot pal désigne « un rocher escarpé » (113). L’étymologie donnée par Russell qui parle de pieu parce que la ville aurait été entourée au départ de quatre pieux, est donnée pour erronée (elle se fondait sur le mot occitan pau désignant un pieu). Humilité des toponymes qui cachent leurs origines et laissent dialoguer les langues autour des paysages qui ont donné naissance à ces noms. Romain Bourbon s’appuie sur de nombreuses recherches d’autres auteurs comme Robert Aymard pour sa Toponymie pyrénéenne, Michel Grosclaude pour son Dictionnaire toponymique des communes de Béarn, Jean-Baptiste Orpustan pour sa Toponymie basque entre autres ouvrages. En écoutant Romain Bourbon parler des toponymes pyrénéens dans ce paysage vert et accueillant de Pont de Camps au cœur des montagnes, on prenait vraiment conscience du sens des noms de lieux. En nous parlant de leurs racines et de leur sens avec tant de vie et de passion, Romain Bourbon nous montrait que ces noms racontent le paysage qui les a fait naître. Il a également échangé avec Alain Fortané, géologue, occitaniste, féru de toponymie, présent dans le public.
Romain Bourbon, Dictionnaire toponymie des Pyrénées, 2ème édition, Monhélios, 2018.

Au cours de cette table ronde, il dialoguait avec Stéphane Dugast, qui présentait son ouvrage, Une histoire de l'exploration neiges et glaces (Glénat, 2022), et Thomas Vennin pour son livre Autour du Sommet des Dieux (Paulsen Guérin, 2021), où l’histoire de la montagne devient manga puis film d’animation, avant que celui-ci ne retrouve le monde de papier à travers ce beau livre réalisé par Thomas Vennin et illustré par les dessins du film d’animation. Explorations de genres divers qui, dans la montagne, et tandis que passait au loin un gypaète, mettaient en présence des alpinistes ayant atteint le sommet de l’Himalaya, des écrivains et, un peu plus tard, de jeunes enfants venus de Paris et de beaucoup plus loin.
Stéphane Dugast,
Une histoire de l'exploration neiges et glaces, Glénat, 2022
Thomas Vennin,
Autour du Sommet des Dieux*, Paulsen Guérin, 2021.**

Juste après l'intervention de nos deux auteurs, une foule de pas moins d'une quarantaine de jeunes des 19e et 20e arrondissements de Paris, en classe verte à Pont de Camps, nous ont rejoints, pour assister au récital de clôture de Jean-Luc Mongaugé, musicien ossalois, auteur, compositeur et multi instrumentiste. En chantant des chansons à la fois en français, en espagnol et en béarnais, il faisait entendre à ces enfants aux origines géographiques multiples, une musique qui puise son inspiration dans la montagne et ailleurs. Ils sont arrivés au moment où Jean-Luc racontait ses propres voyages et parlait de migration des Béarnais et des autres aux Amériques, qui parlait d’accueil. Le reste du répertoire rendait plus sensible encore ces jeunes urbains à ce qu'ils découvraient dans un même moment : la montagne, les langues parlées dans les Pyrénées et la langue universelle de l’accueil et de l’hospitalité. Paris intra-muros, Maghreb, Sénégal, Mali, Argentine, Ouest-américain et Béarn, en une même Terre réunie; le cœur de la Vallée d'Ossau. Les langues se parlaient entre elles, les langages et imaginaires s'articulaient, et le paysage parlait à tous et à chacun.

La diversité des mots pour évoquer un même élément de nature raconte le foisonnement de la vie de la montagne et des cultures qui s'y déploient, à travers leurs langues qui traduisent le paysage et que traduit le paysage. On peut retrouver Jean-Luc Mongaugé dans ses albums et le découvrir en concert :

Ou dans des balades chantées : https://www.larepubliquedespyrenees.fr/pyrenees-atlantiques/laruns/laruns-jean-luc-mongauge-chante-son-village-4953191.php

Jean Eimer, qui avait présenté son livre l’avant-veille au cours d’une autre table ronde, évoque dans sa Traversée, les multiples mots désignant les rivières dans les Pyrénées :

« Les torrents pyrénéens sont diversement nommés
tout au long de la chaîne.
Des nives basques aux garonnes du Val d’Aran,
Ils s’appellent gaves en Béarn
Et dans la partie occidentale de la Bigorre,
adours dans sa partie centrale,
nestes aux confins des Hautes-Pyrénées
Et de la Haute-Garonne,
voire piques du côté de Luchon.
Bref, des torrents, des rivières »
Jean Eimer, « Le mot et la chose », Une traversée, Cairn, 2021, 68.

Les langues s’invitent dans les rivières pour parler de diversité au fil de l’eau. Et prendre parfois le nom de la montagne d’où elles descendent. Rencontres entre des hommes et des montagnes, des rivières et des vallées, que les langues devenues toponymes racontent dans l’écho des montagnes.

Compte rendu rédigé par Françoise Besson