John Muir, stupéfait de la beauté de la vallée ossaloise
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Yan Lespoux : « Qui est mort depuis la dernière fois ? »

Yan Lespoux est le lauréat du premier Prix Fiction du Festival. Dimanche 19 juin, dernier jour du Festival, il a expliqué ce qui l’avait mû à écrire Presqu’îles (Agullo), un recueil de nouvelles qui raconte son Médoc natal, son Médoc de cœur.

« Quand sa femme lui a dit qu’il avait le choix entre arrêter de boire ou arrêter de vivre avec elle, il s’est trouvé un peu gêné ».

Le timbre de Yan Lespoux résonne dans la salle. Les mots d’une cruelle et sardonique tendresse infusent dans la chair. Rires, puis francs et sincères applaudissements.

Yan Lespoux (prononcez « Lespousse ») vient de lire une des nouvelles de son recueil, « Le Cerf ».

« Presqu’îles » est aussi addictif qu’une bonne série. Vous commencez par lire une nouvelle, puis une autre, et encore une autre…Vous avez beau vous dire : « Allez, c’est la dernière, je reprendrai demain ! ». Trop tard ! Vous allez jusqu’au bout » salue Marianne Lassus, secrétaire générale du Festival, libraire à Arudy et animatrice de la rencontre.

Pas de Netflix sur l'écran, en ce dimanche de clôture du Festival. Mais Yan Lespoux en chair et en os. Il raconte les coulisses d'une série qui n'était pas destinée à exister. Elle est née par hasard, si tant est que le hasard existe.

Yan, 45 ans, Professeur d’occitan à l’université Paul Valéry Montpellier 3. Il est parti de son Médoc natal il y a quinze, vingt ans. Il y revient, souvent. C’est un de ces jours-là, où il visite ses parents.

Les bises claquent. Dans certaines familles, les conversations dévient très vite sur le temps qu’il fait. Pas chez les Lespoux, visiblement. « Qui est mort depuis la fois dernière ? »

Yan parcourt les pages de Sud Ouest et ses yeux se posent sur le carnet quotidien. Il dévide les noms, à la recherche d’un patronyme connu.

La discussion se poursuit. « On évoque avec mes parents un voisin qui avait eu une histoire particulière. C’est la seule histoire vraie du recueil. Ce voisin avait tué une personne qui avait essayé de lui dérober son argent. Je la raconte quelques jours plus tard sur un post Facebook ».

Un éditeur lit la publication. « Si vous avez d’autres choses, dites le moi ». Yan n’a rien d’autre. Pas encore.

Le roman noir, qui « enfonce le couteau dans la plaie là où ça fait mal dans la société »

Yan côtoie Hervé Le Corre depuis un certain temps. C’est un aficionado du roman noir. Il anime régulièrement des débats d’auteurs dans des festivals, et organise des rencontres avec Olivier Pène et Hervé Le Corre à la librairie La machine à lire à Bordeaux – oui, oui, chez les Bordelais.

Il collabore à diverses revues (Marianne, Alibi, Sang Froid, 813) pour lesquelles il chronique des romans noirs. Il a également créé un blog, devenu une référence dans l’univers du polar. « Il n'y a pas forcément un crime, dans le roman noir » décrypte Yan, sans rentrer dans les détails d'un débat infini. « Cela peut être, aussi, enfoncer le couteau dans la plaie de la société ». Et de citer Larry Fondation qui dit la vie des marginaux à Los Angeles et qui saisit le quotidien des gens.

Hervé Le Corre n’avait pas Facebook, à l’époque. Il lit l’histoire du voisin médocain. « Pas mal. Continue ».

Mais bon, c’est le Médoc, quoi. Un pays de "sous-développés", un pays de ploucs : combien de territoires de l'Hexagone sont-ils ainsi perçus ? « Les nouvelles de Larry Brown racontent la vie de tous les jours. Comme c’est un Américain, ça plaît. Si on fait la même chose ici, on est taxé de régionalisme, de littérature de terroir. Ce n’est plus du tout exotique, d'un coup. Mais les gens sont les mêmes, pourtant. Partout ».

Les éditions Agullo accompagnent la démarche. « On est complètement débiles. On va le faire ».

Yan écrit ses textes. Dans un train, sur un coin de table. Il joue à dénicher la bonne chute. Il gagne, très souvent. Il n’a pas besoin de véritable routine, ni d’être physiquement dans son Médoc pour écrire. « Ecrire sur le Médoc me permettait d’y revenir. C’était plaisant ». De se replonger, à distance, dans sa terre natale.

La littérature « récure l’âme »

« Je voulais raconter comment on vit à l’année dans ce genre d’endroit, où la nature est très présente et pas toujours enchanteresse. L’océan l’hiver, dans la brume, est une barrière. La forêt est un espace de liberté immense dans laquelle on peut aussi s’enfermer. Qu’est-ce que c'est d’être là car on n’a jamais pu en partir ? Qu’est-ce qu’est que de s’installer ici ? Qu’est-ce que c’est que de quitter le Médoc et de vouloir y revenir ? »

La littérature « récure l’âme » dit Jim Harisson dans Seule la vie est éternelle, le documentaire que lui ont consacré François Busnel et Adrien Soland, et qui a été projeté au cinéma Louis Jouvet de Laruns samedi 18 juin dans le cadre du Festival. Yan : « Je me suis dit : suis-je encore d’ici (du Médoc) ? Je ne me sens pas tout à fait là (du côté de Montpellier), car il n’y a pas l’océan. Je me suis posé la question de mon identité, de l’appartenance à un lieu ».

Son recueil est un dialogue entre l'ici et l'ailleurs, met en perspective Marianne. Yan a d’ailleurs choisi une citation d’Eric Holder, en exergue du recueil. « Il explique que les lieux ont pris possession de lui. On est de là mais les lieux sont en nous. Il explique la manière dont on appartient à un endroit, et la manière dont un endroit se niche en nous et nous modèle ».

Chacun, chacune, a éprouvé cette question du lieu, au cours du Festival.
Des auteurs Américains venus d’Oregon et d’Alaska.
Des Béarnais de San Francisco.
Un Médocain de Montpellier.
Ou un Occitan du Médoc, on ne sait plus.
Un aide berger qui a bourlingué sept ans au Mexique et en Amérique du Sud, qui dit son expérience de l’alpage dans les Alpes au château de Béost, aux confins du pastoralisme et de l’estive, et que des bergers de vallée écoutent avec sensibilité dire comment il a renoué avec la ville, désormais.
Un mec de Bacalan dans la banlieue de Bordeaux, qui se nourrit tous les étés de la Vallée d’Ossau, terre de ses aïeux, un mec qui parcourt les terrains de rugby du Sud-Ouest, des Pays-Bas, du Maroc, puis que la vie porte vers la capitale et le Moyen-Orient.

Ce même mec grâce à qui nous avons toutes et tous habités le même lieu, pendant quelques jours, venus de tous nos foyers divers. Et ce même lieu qui nous a habités, en retour.

Nous habitera-t-il encore, dans nos souvenirs, dans notre chair ?

Yan s'est posé ce genre de questions, au moment de relire les épreuves. Il lit toutes ses nouvelles, pour la première fois les unes à la suite des autres. Il se rend compte de sa très légère obsession pour la noyade. « C’est étonnant ce que l'on a dans notre inconscient, parfois ». Il sourit.

Reste à composer un rythme harmonieux, désormais. Chez lui, dans son salon, il étale toutes les nouvelles aux côtés de son éditeur, Sébastien Wespieser. « Alterner les tonalités des textes pour ne pas flouer le lecteur et lui offrir des temps de respiration ».

La dernière nouvelle est vite trouvée. Et puis la première, aussi. Celle sur les Bordelais.

« C’est toujours bien de taper sur les Bordelais », il se marre. « Le Bordelais voit le Médocain d’une façon très particulière : tu chasses le sanglier à la main, tu rentres le soir et tu violes des enfants. Le Médocain a l’image d’un sauvage incestueux. Je voulais jouer avec cette image et en prendre le contre-pied ».

« Le particulier qui dit l’universel »

Presqu’îles déchire l’image d’Epinal du Médoc, celle « des vignes très bien rangées, sans un insecte ».

L’affection flirte au fil des pages. « J’aime tous ces personnages. Certains, c’est moi. C’est une société que j’aime vraiment. Je voulais écrire sur les gens sans les juger. Je ne voulais pas me placer en surplomb. J’ai grandi dans le Médoc et je m’y sens bien ».

Il n’y a qu’à écouter le public rire. Il n’y a qu’à écouter les gens qui viennent lui glisser un mot, une phrase, une bribe d’histoire de vie, qui après une rencontre, qui en demandant une dédicace.

« Des gens m’ont dit, à Bastia : « Mais ça se passe pareil en Corse ! ». Le moment qui m’a le plus étonné, c’était dans un lycée à Pau. Un lycéen de la vallée d’Aspe vient me voir. « Ça me rappelle mon village. Cela se passe pareil, chez moi ». Sa prof de Français vient me voir. Elle avait offert le livre à une de ses amies. « Ça me rappelle mon village », lui dit son amie ».

L’assemblée attend la chute. Elle fait mouche encore. « Son amie est Ivoirienne ».

Marianne avait aussi dit, en préambule : « Ce recueil, c’est le particulier qui dit l’universel. Écrire sur la nature, c’est aussi écrire sur les gens. Aimer la nature, c’est aimer les gens. C’est la force de ton recueil : cette nature et ces gens que tu aimes qui s’effilochent au cours de tes nouvelles ».

La série Netflix se dévore avec des cacahuètes Benenuts en main, comme le dira Nicolas Mathieu dans une jolie chronique publiée sur Instagram.

Il faudrait arrêter de piocher dans le paquet de cacahuètes et préférer la pomme qui patiente sagement à côté. Il faudrait éteindre ce foutu ordi. Et puis…On mangera la pomme demain. On dormira plus tard. On avalera Presqu’îles maintenant, seul sur son canapé, ou ensemble à écouter Yan faire résonner ses nouvelles dans l’église de Bescat ou dans la salle climatisée d’Arudy.

Texte et photos : Quentin Guillon.
Photos disponibles en HD.