John Muir, stupéfait de la beauté de la vallée ossaloise
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Nick Neely, Marcher pour redécouvrir la Haute Californie

Présenté par Scott Slovic, dont il a été l’étudiant, Nick Neely, coureur de fond comme lui, présente son expérience d’une longue marche en Haute Californie, à partir de son livre Alta California. Les deux Françoise, Francoise Cazenave et Françoise Besson, assurent la traduction pour le public py-rénéen très intéressé, malgré la canicule et la fin d’une journée chargée.

Nick Neely capte leur attention en racontant son voyage en Haute Californie, à pied, sur les traces de l’expédition Portola de 1769. Son texte, ses mots, les photos qu’il projette de son voyage donnent l’impression que nous le suivons dans sa marche. Sa présentation et ses photos ne nous font pas seulement voyager avec lui, mais elles soulèvent des questions fondamentales. Sa marche dans les pas de Portola et de ses hommes, toutes les difficultés qu’il a rencontrées quand l’ancienne route devient une autoroute, quand elle laisse la place à des camps militaires, des missions religieuses; ses pas le conduisent à penser aux territoires autochtones que l’expédition espagnole avait rencontrés et qui avaient disparu, à sentir la mémoire de la vie de ces peuples qui était dans le sol, sous les pas du marcheur.
Pour moi, qui avais entendu parler de Gaspar de Portola depuis l’enfance, puisque sa famille était originaire du même village que ma grand-mère en Espagne, dans la Vallée d’Aran, que nous visiterons quelques jours plus tard avec les écrivains, c’est un autre lien entre les Pyrénées et l’Amérique.

La démarche de Nick est fondamentale dans la prise de conscience d’un face à face entre le passé et le présent. Il écrit dans le prologue de son livre : « Je pensais que traverser nos villes et nos banlieues sur un transect oublié mais fondateur, serait le meilleur moyen de voir vraiment ce qu’était devenu ce que nous appelons la Californie, de découvrir ses interstices sauvages et farouches, de m’immerger dans les détails incessants du paysage, et de confronter notre passé et notre présent de front. Le temps, c’est ce que j’en suis venu à croire, est le vrai monde sauvage (Alta California, xv) ».

Il montre si bien la naissance de cette vallée de Californie, de ses villes, dans le passé historique qu’il a découvert à la fois à travers les textes et la marche : « L’expédition Portolá est le moment fondateur dans l’histoire de la Californie. C’est à partir de cette longue marche que l’état que nous connaissons et que nous aimons aujourd’hui — ou auquel parfois nous aimons faire des reproches — s’est déployé. L’expédition a nommé un grand nombre de villes de la côte, avec à la fois des noms officiels religieux comme Los Angeles, Santa Barbara, et Santa Cruz, et a laissé aussi des surnoms imaginés par les soldats, comme Carpinteria, Los Osos, et Gaviota (où ils avaient réussi à tuer une mouette, una gaviota). Pourtant son influence et son symbolisme sont plus grands ».

« Relations de pouvoir dramatiquement déséquilibrées »

« Dans l’analyse faite par l’expédition du potentiel agricole de chaque vallée, réside le noyau des vastes plantations de l’état, du fait qu’il est devenu « le grenier de la planète » ; et dans l’histoire des peuples autochtones de Californie contraints à travailler dans les champs de ces missions quelques années plus tard, ce qui vraisemblablement était de l’esclavage, on peut voir un parallèle avec les relations de pouvoir dramatiquement déséquilibrées qui existent encore aujourd’hui entre les producteurs et les travailleurs immigrés. Dans la focalisation de l’expédition sur les maigres ressources en eau, il y a un aperçu des controverses de l’eau dans l’état, et des infrastructures vastes et onéreuses, qui importent l’eau des lointaines montagnes de la Sierra Nevada ou du fleuve Colorado. Les terres de la mission dont l’expédition a tracé les contours, allaient devenir des concessions de terre pour des ranchos mexicains, qui sont soit devenus des développements suburbains massifs comme Irvine et Rancho Mission Viejo dans le Comté d’ Orange, soit restent de vastes exploitations privées comme les ranchs Hollister et Cojo-Jalama, qui ont préservé la côte mais empêchent le public d’y accéder. La ruée vers l’or a finalement fourni le capital qui allait faire progresser la Californie de façon exponentielle, mais cette croissance et ce changement se sont superposés sur les traces espagnoles laissées en premier par « l’Expédition Sacrée. Pour autant que je sache, personne n’a jamais parcouru à pied l’itinéraire de l’expédition Portola auparavant, bien qu’elle ait transformé et façonné pour toujours ce lieu que moi et 39 millions d’autres personnes nomment « chez nous ». Aussi, j’ai décidé d’acheter un billet d’avion, un aller simple, pour San Diego, pour le 14 juillet, le jour où Portolá et Crespí ont commencé leur marche vers Monterey. Je marcherais jusqu’à San Francisco sur leurs traces, une distance d’environ 1040 kilomètres (Alta California, xv) ».

De l'intérieur

À l’intérêt philosophique, historique et environnemental de cette démarche et du texte auquel elle a donné naissance, s’est ajouté pour moi, en écoutant Nick, un point de vue personnel. Jusque-là, je connaissais Gaspar de Portola et son expédition à partir des textes écrits par le chroniqueur, par les historiens, et à partir du village de ma grand-mère dans la vallée d’Aran, en Espagne, où la famille de Gaspar de Portola avait ses origines. Ma connaissance de Gaspar de Portola était livresque, et liée à l’histoire du livre que ma mère et moi avions écrit en hommage à ma grand-mère et aux femmes de la vallée et du village d’Arties. La présentation et l’histoire personnelle de Nick Neely m’ont donné le point de vue d’un jeune écrivain américain qui a récrit, de l’intérieur, l’histoire que je connaissais. Quand je dis « de l’intérieur », je veux dire à partir du sol où tous les pas étaient mêlés : les pas des Amérindiens qui vivaient là quand Portola et ses soldats ont « découvert » la Californie, les pas de Portola et de ses hommes, les pas de tous les animaux qu’ils avaient rencontrés ou redoutés, et les pas d’un jeune écrivain, athlète et naturaliste du XXIème siècle qui explique un moment important de l’histoire de la Californie à travers la marche et l’observation, et qui rappelle aussi toutes les destructions, tous les effacements que cette marche lui révèle.

Même si je n’en avais pas conscience sur le moment, j’étais à la fois sur la côte californienne au XVIIIème siècle, dans un village amérindien, dans le village de la famille Portola et de ma grand-mère dans le Val d’Aran, et dans la Vallée d’ Ossau ici et maintenant.
Trois vallées se parlaient à travers la voix de Nick Neely : Portola Valley aux Etats-Unis, le Val d’Aran en Espagne et en France, la Vallée d’ Ossau qui avait permis la rencontre.

Texte : Françoise Besson.
Photos : Quentin Guillon